HISTOIRE DE LA GUINÉE - La révolution Guinéenne
Purges des contres-révolutionnaires
Devenu omnipotent et omniprésent, le P.D.G. a réussi à neutraliser ou à détruire les forces politiques qui eussent pu s’opposer à lui ou les antagonismes surgissant en son sein. Si la violence physique n’a pas été utilisée contre le colonisateur pour réaliser l’indépendance, elle n’en demeure pas moins au cœur du régime. Dès le début, Sékou Touré n’a pas hésité à parler de dictature. Depuis, il rappelle volontiers que le parti " assume, de par sa plénitude, la dictature populaire et révolutionnaire " ou que la contre-révolution est inhérente au processus révolutionnaire : le complot est permanent ! Tous ceux qui s’écartent tant soit peu de la ligne politique du moment peuvent être qualifiés, à tort ou à raison, d’" ennemis de la Révolution ", en collusion évidemment avec l’impérialisme. Furent ainsi impliqués aussi bien les profiteurs de malversations financières ou économiques que " les purs ", aussi bien les adversaires potentiels ou déclarés que les partisans du régime. La révolution souvent dévore ses propres enfants. Toutes les couches et catégories sociales furent frappées. Une quinzaine de complots ont ainsi été officiellement dénoncés de 1958 à 1984, dont certains furent réels (ceux de 1965). Les sentences sont prononcées, quand elles le sont, par des tribunaux populaires créés pour la circonstance. L’Assemblée nationale fut érigée en tribunal, en 1971, et le C.N.R. le fut à plusieurs reprises. Aucune procédure n’est de rigueur, aucun droit n’est reconnu à l’accusé. La torture est pratique courante, voire généralisée comme durant la période 1967-1980. La délation est érigée en système. Le maintien au pouvoir d’un petit noyau de dirigeants autorise le mépris le plus total des droits de la personne humaine. Les " forces traditionnelles " furent les premières atteintes avec l’abolition des chefferies de canton en 1957, la campagne contre le fétichisme et les sorciers, puis les arrestations de marabouts en 1959-1960. En avril 1960, un complot contre-révolutionnaire est dénoncé devant 60 000 personnes dans lequel sont impliqués des ressortissants français et guinéens. L’année suivante, l’Église catholique doit accepter la nationalisation de ses écoles, l’expulsion de son archevêque français et l’africanisation de son clergé. Peu après, c’est le tour des " forces modernes ". En novembre-décembre 1961, les " intellectuels ", enseignants et étudiants, sont remis au pas manu militari , sous l’inculpation de noyautage des organismes du parti et des syndicats. Il en ira de même en 1970. Le droit de critique n’appartient qu’au responsable suprême ou ne peut être exercé sans son accord. Cette règle non écrite du régime ne souffre pas d’exception. En novembre 1964, une loi-cadre supprime la liberté du commerce, interdit l’exploitation privée du diamant, exclut les commerçants des organismes directeurs du parti, crée une commission de vérification de tous les liens des citoyens. En octobre 1965, le régime révèle un complot dit des commerçants avec l’arrestation d’une soixantaine de personnes dont Petit Touré qui voulait créer un nouveau parti politique et deux anciens membres du bureau politique, J. F. Tounkara et Bengali Camara... Un coup de semonce est également donné à l’armée avec la rétrogradation du ministre Fodéba Keita (par la suite condamné à mort), le renforcement de la milice et l’arrestation d’officiers. Finalement, l’armée est décimée en 1969, 1970 et 1971, à commencer par les membres de l’état-major. Le paroxysme de la répression est atteint en 1971, année de la grande purge qui frappe de terreur toute la population. C’est que le régime a failli s’effondrer. La capitale, Conakry, est attaquée de l’extérieur, en novembre 1970, par des forces paramilitaires portugaises auxquelles se sont joints des émigrés guinéens. Pendant une vingtaine d’heures, la tentative de renversement du régime, objectif second de l’opération, a été sur le point de réussir : les réactions de la population ont tardé à se manifester, le président et son demi-frère Ismaël se sont cachés et nombre d’autres dirigeants sont restés dans l’expectative. L’agression extérieure est condamnée par le Conseil de sécurité de l’O.N.U. et par l’O.U.A. tandis que des manifestations internationales de solidarité se produisent. Mais les conséquences intérieures en sont tragiques. Faux procès hors de toute norme, tortures au camp Boiro, condamnations sans jugement et " verdicts populaires ", pendaisons publiques avant un sinistre carnaval (8, dont Barry III, Magassouba Moriba). La " purge " est menée par un noyau de tortionnaires (Ismaël Touré ; Siaka Touré, neveu du président ; Seydou Keita, futur ambassadeur en France) groupés autour du président : 5 000 arrestations en deux mois, des centaines de victimes. Elle frappe, dans un amalgame nourri des haines personnelles, ministres, archevêque, officiers, hauts fonctionnaires, commerçants, paysans, gagne-petit, étrangers... Ses péripéties suscitent la stupeur et la réprobation dans l’opinion internationale, africaine ou occidentale. Son caractère impitoyable et inhumain marque désormais le régime d’une tare indélébile. Les séquelles n’en seront pas effacées de sitôt malgré des libérations, voire des réhabilitations survenant de temps à autre comme en 1977 et 1978 où auraient été relâchés plus d’un millier de prisonniers. Toute opposition éventuelle s’en trouve affectée et la population traumatisée, d’autant qu’une psychose est entretenue par la dénonciation de nouveaux complots : septembre 1973, mai-juillet 1976 avec l’arrestation de Telli Diallo (ancien secrétaire général de l’O.U.A.) et la mise en cause de l’ethnie peule (500 arrestations), mars 1979, mai 1980, février 1981, février 1982. Un mois avant sa mort, Sékou Touré préparait de sa main une nouvelle liste d’arrestations (évêque, officiers, cadres). À maintes reprises (déc. 1978, oct. 1982), Amnesty International stigmatise la situation faite aux prisonniers guinéens dont " le sort est de mourir de faim et de soif " (la diète noire). Toutefois, soucieux de ses relations avec les pays occidentaux depuis 1978, seuls en mesure d’assurer l’exploitation des ressources minières du pays, Sékou Touré impose le secret sur les massacres de répression. Un soulèvement largement spontané des femmes en août 1977 l’avait d’ailleurs acculé à amorcer une libéralisation économique en supprimant la police économique des marchés et en permettant une réouverture progressive du commerce privé. Les émigrés guinéens – le quart de la population ? – n’en continuent pas moins de voir croître leur nombre au fil des ans sans pour autant réussir à s’organiser.