HISTOIRE DE LA GUINÉE - La révolution Guinéenne
Partitocratie
Une fois l’indépendance acquise, les dirigeants du P.D.G. obtinrent l’autodissolution des autres partis politiques. Le régime mis alors en place – régime présidentiel fort avec parti unique de facto – va évoluer progressivement vers une " république populaire révolutionnaire " où les structures partisanes et étatiques sont désormais fusionnées. Plusieurs jalons marquent cette évolution. Le comité central du P.D.G. décide, en novembre 1967, l’organisation d’un " pouvoir révolutionnaire local " (P.R.L.). Puis, en novembre 1978, le XIe congrès proclame la transformation de la Guinée en " République populaire révolutionnaire " reposant sur les trois piliers dits indissociables, invincibles et indestructibles que sont le fier peuple, le parti-État et le stratège président Ahmed Sékou Touré (héros du 28 septembre et du 22 novembre, père de la nation, serviteur suprême du peuple). Une loi entérine cette transformation en février 1979 et une IIe Constitution consacre, le 14 mai 1982, les nouvelles institutions. Les dirigeants considéraient alors que la Guinée avait atteint la phase de la " démocratie populaire avancée " en 1978. La IIe Constitution présente d’importantes modifications par rapport à celle de 1958. Sans doute reprend-elle les droits et libertés déjà proclamés, comme les libertés de parole et de conscience, le droit de grève, l’interdiction de la détention arbitraire. En revanche, de nouveaux droits et devoirs sont proclamés ou explicités, dont l’égalité de l’homme et de la femme, le respect de la personne humaine, le devoir de travailler, etc. Mais le droit d’association n’est plus reconnu. De plus, le nouveau texte innove en droit constitutionnel en supprimant toute distinction, même formelle, entre le parti et l’État. Par là , il se démarque très nettement des Constitutions de l’U.R.S.S. et de la Chine, malgré de nombreuses ressemblances. À l’instar de la première, la nouvelle Constitution n’a pas d’impact concret pour le citoyen en ce qui concerne le respect des droits et libertés fondamentaux. Du reste, deux ans après sa proclamation, la mort de Sékou Touré et le renversement de son régime la frappent de caducité. Elle avait, en fait, pour objectif, de solenniser le fonctionnement des institutions tel qu’il se manifestait au fil des années ainsi que l’omnipotence et la prédominance quasi totales de son chef. La souveraineté du peuple s’exerce à travers des organisations de masse dans le cadre du parti unique sur lequel la Constitution de 1958 était muette. Mais le parti forme avec l’État une seule entité indivisible dont la justification se veut d’ordre historique. C’est le parti qui a fondé l’État dont est née la nation guinéenne. Il lui revient de l’organiser, de le diriger et de le contrôler " en assumant réellement toutes les fonctions en tant que parti-État et en œuvrant à la réalisation du peuple-État " (IIe Constitution, Préambule). Dès lors, l’État n’est que l’instrument technique par lequel " la classe-peuple exerce souverainement le pouvoir ". Comme dans les régimes communistes, le principe organisationnel fondamental est le " centralisme démocratique " avec l’élection des responsables, une discipline rigoureuse et la subordination de la minorité à la majorité. L’unité de base est, au niveau du village ou du quartier, le pouvoir révolutionnaire local (P.R.L.). Celui-ci dispose, en théorie, de tous les pouvoirs en matière politique, administrative, économique, domaniale, socioculturelle et de défense. Dirigé par un bureau de 7 membres présidé par un maire, il englobe une population de 1 500 à 2 000 personnes. Les P.R.L. (2 441 en 1982) sont groupés en 314 arrondissements eux-mêmes regroupés en 35 régions dirigées par un exécutif régional dont font partie le gouverneur et les chefs de services administratifs régionaux. Les régions enfin sont réparties en 7 commissariats généraux de la révolution. À chaque étage de la pyramide existent des " instances de décision qui en constituent le Parlement " (congrès, conférence, assemblée générale) et qui doivent se réunir régulièrement. Au sommet, le Parlement comprend par ordre décroissant de compétence : le Congrès national, instance suprême ayant compétence générale sur toutes les affaires de la nation ; le Conseil national de la révolution (C.N.R.) qui contrôle l’exécution des tâches et dont le comité central (C.C., composé de 75 membres) assume les responsabilités entre les sessions ; l’Assemblée nationale (210 députés) qui, formellement, vote la loi ; enfin un Conseil et une Assemblée constitutionnels dont le rôle est de veiller à la régularité de l’élection présidentielle et d’en proclamer les résultats. Le pouvoir révolutionnaire central, ou exécutif national, comprend le président de la République, le bureau politique et le gouvernement. Toutefois, le texte constitutionnel, implicitement, fait du président le détenteur exclusif du pouvoir exécutif puisque le bureau politique " assiste " le président et que le gouvernement est formé de ministres nommés par lui et responsables devant lui. On peut parler d’un présidentialisme " autocratique " analogue à celui de la plupart des autres États africains en ce qu’aucun contrepoids institutionnel n’existe. La responsabilité politique du président ne peut être mise en cause si on excepte la nécessité de l’élection au suffrage universel. Dans le cas de la Guinée, l’une des prérogatives présidentielles, la nomination à tous les emplois civils et militaires, pèse d’un poids écrasant étant donné l’étatisation quasi complète de l’économie (nomination par décret des cadres des entreprises commerciales et industrielles). La concentration du pouvoir est totale. Le droit guinéen consacre la pratique en vigueur depuis l’indépendance et le parti est devenu État. Déjà , en 1964, Sékou Touré parlait de " l’unicité fonctionnelle du parti et de ses organes d’exécution, le législatif, l’exécutif, le judiciaire ". Les membres du bureau politique sont également ministres. Les élections sont les gestes rituels de la vie politique. Très fréquentes du fait de la multiplicité des organismes et des niveaux, elles n’excluent pas une certaine compétition entre candidats, mais celle-ci est soigneusement encadrée par les instances hiérarchiques supérieures. Le cumul des mandats est fréquent. Il est intégral au sommet : secrétaire général du P.D.G. depuis 1953, chef du gouvernement depuis 1957, président de la République depuis 1961, responsable suprême de la Révolution depuis 1978, Sékou Touré a exercé ces responsabilités jusqu’à sa mort en mars 1984. Il fut réélu président en 1982 pour un quatrième mandat avec 100 p. 100 des suffrages exprimés (3 063 692) et un nombre infime d’abstentions. Aux autres élections (comité central, Assemblée nationale, bureaux fédéraux...), les listes établies par l’instance appropriée et visées par le secrétaire général sont entérinées. Le régime se veut une " démocratie avancée ". Mais une sorte de classe politique monopolise fonctions et responsabilités comme l’indique la composition des organes du parti-État : enseignants et fonctionnaires. À l’échelon national, les paysans et les ouvriers ne figurent que dans la proportion de 5 à 7 p. 100, les commerçants sont exclus. L’encadrement de la population – tout Guinéen est censé être membre du parti dès son plus jeune âge – se trouve complété par un regroupement dans trois organismes, la Jeunesse de la révolution démocratique africaine (J.R.D.A.), l’Union révolutionnaire des femmes de Guinée (U.R.F.G.) et la Confédération nationale des travailleurs de Guinée (C.N.T.G.) dont les représentants sont membres des divers organes du parti-État. Quant à l’armée, des comités d’unité militaire et des commissaires politiques veillent au comportement des officiers et de la troupe. Dans les écoles, des commissaires semblables s’occupent de la discipline et de la production, si ce n’est de la direction.