HISTOIRE DE LA GUINÉE
3. L'accession à l'indépendance
Après 1945, tout change. Une vie politique intense surgit, dont l’aboutissement sera l’indépendance. La guerre avait révélé la faiblesse de la métropole et rendu insupportable le " fardeau de l’homme noir ". Une activité économique plus importante provoque le développement d’un syndicalisme engagé et la contestation de l’ordre colonial.
Contestation de l'ordre colonial
Dès 1945, des comportements nouveaux apparaissent. Des bouillonnements d’idées se produisent. Élections et conflits du travail en sont les révélateurs ; syndicats et partis politiques en sont les agents. Une génération de jeunes leaders se dresse face aux chefs traditionnels et aux autorités coloniales. Le contexte franco-africain a radicalement changé avec des effets d’entraînement considérables. L’évolution de la Guinée en est inséparable tout en s’en distinguant. Après les élections constituantes où, pour la première fois, un Guinéen, Yacine Diallo, est élu (oct. 1945), la IVe République française s’organise avec de nouvelles institutions et se propose de " former avec les peuples d’outre-mer une Union française ". La Constitution d’octobre 1946 garantit les droits politiques et sociaux – dont le suffrage universel et le droit de grève – et proclame l’interdiction de toute discrimination. Des assemblées locales sont élues. Toutefois l’application laisse beaucoup à désirer : le Code du travail outre-mer ne sera voté qu’en décembre 1952 ; l’application intégrale du suffrage universel n’interviendra qu’aux élections de mars 1957. Cependant, dès avril 1946, le travail forcé avait été aboli (loi Houphouët-Boigny) puis le régime de l’indigénat (loi Lamine Gueye) deux mois plus tard. Signe des temps. Lors des élections constituantes, un candidat guinéen demande l’application de la devise " Liberté, Égalité, Fraternité ". Il va jusqu’à promettre : " Si vous voulez l’indépendance totale, votez pour moi. " Pour l’heure, les revendications prioritaires sont autres. Une première grève éclate en décembre 1945, celle du personnel africain des postes, où se révèle un jeune leader, Sékou Touré. L’année suivante, celui-ci est au cœur des discussions entre syndiqués guinéens et représentants de la Confédération générale des travailleurs français pour la création d’une Union des syndicats confédérés de Guinée. Dès la première année, cette union groupe au moins 3 000 adhérents, contre quelques centaines à sa rivale. Pendant dix ans, elle va dominer le monde du travail et jouer un rôle majeur dans l’évolution politique du pays en servant de base sinon de relais au Parti démocratique de Guinée (P.D.G.). Des grèves jalonnent son action (octobre 1947-mars 1948, juin 1950, septembre-novembre 1953) en révélant la combativité des syndiqués (cheminots, fonctionnaires, manœuvres) et la solidarité de la population. Elles aboutissent à une amélioration très appréciable des conditions de vie et assurent une popularité sans égale à Sékou Touré, devenu aussi la principale personnalité du P.D.G. Les différentes élections amènent la création de partis politiques spécifiquement guinéens. Très rapidement, ils marginalisent les succursales des partis métropolitains. Le Parti progressiste de Guinée est créé en avril 1946 par Fodé Mamadou Touré et Madeira Keita. L’année suivante, il se transforme en section guinéenne du Rassemblement démocratique africain (R.D.A.), qui vient de se constituer à Bamako (Mali) à l’instigation d’un député ivoirien, Houphouët-Boigny. Des délégués venus de tous les territoires, dont dix de Guinée, y posèrent les bases d’un programme d’émancipation politique de l’Afrique coloniale française. La section guinéenne du R.D.A., issue d’un regroupement composite de type électoraliste (représentants ethniques, sympathisants communistes), conclut un accord avec les associations ethniques qui adoptent provisoirement les statuts et principes du R.D.A. Mais le programme du nouveau parti est trop audacieux et inquiétant, ses contradictions internes trop fortes : il entend dépasser le cadre tribal et dénoncer les abus du colonialisme. Aussi en 1948, lors des élections à l’Assemblée de l’Union française, les démissions affluent-elles. L’administration prend vigoureusement position contre le R.D.A. et met tout en œuvre, en Guinée comme en Côte-d’Ivoire, pour le contrecarrer et le briser : arrestations, mutations de fonctionnaires à l’extérieur du territoire, condamnations judiciaires, suspensions. Du fait de son apparentement parlementaire avec le Parti communiste français, le R.D.A. était en effet volontairement assimilé par elle à ce dernier. Faute d’une structure solide, la section guinéenne est bien près de disparaître. Elle n’avait pas encore su, non plus, " organiser et aider les petites catégories économiques et sociales (planteurs, transporteurs, dioulas, anciens combattants...) ", ni les femmes, ni les jeunes, comme le reconnaît Madeira Keita lors de son Ier congrès en octobre 1950.