HISTOIRE DE LA GUINÉE - Implatation coloniale
Fonctionnement du système colonial
Pendant une soixantaine d’années, la Guinée va connaître un système colonial analogue à celui des autres colonies françaises de l’Ouest africain. Une administration y est mise en place selon les mêmes principes et les mêmes modalités. Sous l’autorité d’un gouverneur, le pays est divisé en vingt cercles commandés par des administrateurs venus de France. Ceux-ci ont pratiquement tous pouvoirs : responsabilité de l’ordre public, administration de la justice, perception des impôts, interventions économiques... Selon le degré de solidité des structures politico-sociales, les chefferies traditionnelles seront maintenues en place, mais la nature du pouvoir des chefs va se trouver bouleversée : responsables de leurs collectivités et, à ce titre, bénéficiaires de prérogatives et de privilèges, ils sont transformés bon gré mal gré en agents du pouvoir colonial. Leur remplacement se fait alors dans le respect ou dans le mépris des règles coutumières. L’administration généralise entre 1890 et 1914 le système des chefferies de canton, là même où les populations ne le connaissaient pas, comme en Guinée forestière. Une certaine unification s’opère à l’échelle du territoire. L’exploitation des ressources s’organise à l’avantage de la métropole et de ses ressortissants. Très rapidement, trois grandes sociétés d’import-export (Compagnie française d’Afrique-Occidentale, Société commerciale de l’Ouest africain, Compagnie du Niger français) monopolisent le commerce de traite, tandis que le petit commerce est accaparé par des Syriens et des Libanais. Une économie capitaliste se met en place, bouleversant largement les anciens modes de production. La monnaie se généralise avec l’instauration de l’impôt par tête créé en 1897. De nouveaux courants d’échanges s’établissent. L’administration impose le ramassage d’un produit de cueillette, le caoutchouc, entre 1890 et 1914. Des cultures d’exportations sont implantées : la banane, introduite en 1897 puis généralisée à partir de 1920 (1 500 t exportées en 1925) ; le café, par contre, introduit en 1850, ne commence à se développer vraiment qu’à partir de 1930. L’économie cependant demeure à un niveau élémentaire, avec un seul secteur productif, l’agriculture, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Quelques petites industries extractives ne révèlent guère l’énorme potentiel minier du sol guinéen. Une infrastructure ferroviaire est construite entre 1900 et 1914 de Conakry à Kankan, tour de force technique et financier ; son impact économique comme sa rentabilité demeurent faibles. Le réseau routier ne s’étend que lentement. Les capitaux ont oublié la Guinée de 1914 à 1945. Sur le plan social et culturel, les réalisations sont plus que médiocres. En 1958, on ne recense que 1 500 lits de centres médicaux (dont un seul hôpital) et d’infirmeries pour une population globale estimée à 2 500 000 habitants. Le handicap culturel est également considérable pour la Guinée, comme d’ailleurs pour la plupart des États africains au moment de leur accession à l’indépendance. Le taux d’analphabétisme atteignait au moins 95 p. 100. Le taux de scolarisation ne dépassait pas 11,5 p. 100. Cette situation générale recouvrait d’importantes disparités : entre les sexes (moins de 10 000 filles sur 45 000 enfants scolarisés), entre milieux urbains et milieux de " brousse ", entre groupes sociaux (fonctionnaires, artisans, ouvriers et manœuvres, paysans), entre groupes religieux (écoles coraniques et écoles privées catholiques), et entre les régions géographiques. L’enseignement supérieur était inexistant. Il fallut le choc de la Seconde Guerre mondiale pour que les métropoles coloniales – France, Grande-Bretagne, Belgique – prennent davantage conscience de leurs immenses responsabilités. Des plans de développement (le F.I.D.E.S.) virent le jour, des investissements publics furent effectués (19,5 milliards de francs C.F.A. en Guinée) prenant en compte pour la première fois les besoins des territoires. Ce, dans les quelques années précédant l’indépendance, après un demi-siècle d’une œuvre prétendument civilisatrice : trop tardive et faible compensation des énormes " efforts de guerre " exigés à deux reprises pour des guerres européennes, fussent-elles étendues à la planète, où les Africains n’étaient pas concernés. Au total, 36 000 Guinéens furent mobilisés en 1914-1918 et près de 18 000 en 1939-1945. Et bien sûr, comme partout en Afrique-Occidentale : travail forcé et réquisition de produits, cultures obligatoires... Si la population se plie encore aux exigences, la situation est grosse d’orages : " Nous n’avons plus qu’une seule ressource, la résignation ; laissons à Dieu le soin de juger entre les Français et nous " (cité dans un rapport du gouverneur en 1944).